“Avec mon mari, nous sommes installés sur une exploitation agricole familiale. On échangeait beaucoup autour de l’ail, avec une question “comment mieux valoriser cette production qu’on affectionne beaucoup”.
Parce qu’en fait, c’est une production du terroir. C’est-à-dire que l’ail ne pousse pas de partout. Il y a des bassins de production, car il lui faut un terroir spécifique. Il lui faut de l’argile, du limon et du sable, d’eau, du soleil et du vent. C’est ce qui fait que la Drôme est un terroir propice.
On était dans une quête où on se disait qu’on avait envie de faire aimer l’ail de la Drôme parce que, ce qui le différence, c’est cette sucrosité et cette longueur en bouche.
Un été, on décide de se rendre sur l’île de Wight. Car sur l’île de Wight, il y a un producteur d’ail, Colin Boswell, petit producteur, mais grand personnage qui a fait le tour du monde pour découvrir toutes les variétés d’ail qui existent et découvrir l’ail noir.
On s’est dit “wouha, c’est super !”. On revient de là et on se dit qu’il y a vraiment quelque chose à faire. On voit qu’il y a un ail noir au Japon, en Chine, en Corée, au Vietnam, au Québec. Et on se dit “on va faire venir ces ails noirs pour les goûter”. Quand on a goûté le japonais, ça a été la révélation. À ce moment-là, j’ai pris la décision de rejoindre mon mari sur l’exploitation.
J’ai fait des recherches sur tout ce que je trouvais en publications scientifiques ou bien en histoire racontée. Le premier brevet déposé est japonais. Je me suis appuyée sur ce brevet pour apprendre moi-même à le faire avec ma variété d’ail.
Sur l’exploitation, on a trois variétés d’ail le ”Primor”, une variété un peu précoce, “l’ail blanc de la Drôme” et “l’ail violet”. J’ai fait des essais sur les trois variétés et l’ail blanc de la Drôme se prête absolument bien pour l’ail noir.
L’ail noir est issu d’une transformation. C’est comme quand vous faites du vin, vous allez choisir un cépage particulier pour faire un vin spécifique. En fait l’ail blanc quand on le déguste à cru, il a vraiment du sucre et une longueur en bouche. Du coup, quand il est transformé en ail noir, il a plus du tout son côté désagréable que peut avoir l’ail : le piquant, le fort, etc. Mais il a cette sucrosité et cette longueur en bouche.
Pour reprendre de A à Z :
#1 On plante l’ail, c’est la partie de mon mari. On a 12 hectares d’ail qu’on plante en octobre/novembre
#2 Ensuite on va récolter fin juin, l’ail blanc comme l’ail violet.
#3 Une fois récolté, on va déterrer. C’est-à-dire qu’on va le passer sur un tapis pour enlever les petites terres qu’il y a dans les racines, pour lui permettre ensuite de bien se sécher. Tout est manipulé dans de grands palox bois.
#4 Ensuite on remet l’ail dans ces palox bois et on va ventiler. On dit qu’on sèche, mais on n’amène pas de chaleur, c’est simplement qu’on souffle dans les palox, pendant un mois.
#5 Ensuite il y a la phase de blanchissage. C’est-à-dire que l’ail, quand vous le trouvez chez votre primeur, il y a toujours une petite peau d’enlever et les racines de coupées. C’est une opération entièrement manuelle, car l’ail est très sensible. Il est sensible aux chocs physiques et aux chocs thermiques. Quand il y a un choc, instinct de survie, il se vide complètement avant de germer.
#6 Il va y avoir le temps du calibrage. C’est-à-dire qu’il va y avoir une machine avec une grille, des trous et toutes les têtes d’ail passent dans ces tapis et tombent dans les trous. Ça va permettre de calibrer. Ce sont les plus gros calibres qui vont être transformés en ail noir.
#7 Après calibrage on se trouve fin août. Je vais pouvoir démarrer la transformation en ail noir. Je vais les mettre, avec leur peau, dans des grands paniers en inox, des claies, têtes en bas, têtes au-dessus. Il faut que ma machine soit absolument pleine pour que, quand je ferme ma machine et que je monte en température, l’ail transpire. Ma machine va se remplir de l’humidité naturelle de l’ail et, en montant en température, les sucres naturels vont se caraméliser et on a comme un confisage. On démarre à 70 °C pour que la réaction ait lieu. C’est une journée. Et ensuite, on va descendre à 65 °C tout le reste du temps. Et ça, pendant 30 jours. J’évapore progressivement, mais j’évapore jamais tout pour ne pas que ce soit sec. Si j’évaporais pas du tout, j’aurais une pâte d’ail noir directement. Le but, c’est d’avoir de la mâche, de la texture. Les arômes en sont différents aussi. Mon ail n’est jamais élastique. Il a du réglisse, mais il ne l’a pas de manière dominante. J’ai opté pour un ail noir avec une texture fondante et un équilibre. J’ai du réglisse, mais aussi de la sucrosité, un côté cerise, fruits confits, et en même temps de l’acidité. Il faut qu’il y ait le balsamique qui ressorte aussi. Cet équilibre, on l’a bien quand il y a cette texture.
Pendant ces 30 jours l’allicine, ce qui donne le piquant à l’ail, disparaît pendant la première semaine. C’est-à-dire que la première semaine un gaz s’échappe de l’ail. Il n’aura plus le piquant de l’ail.
#8 Quand j’ouvre ma machine au bout de 30 jours, il ne sera jamais exactement comme je veux qu’il soit. C’est-à-dire qu’il va être un peu comme un vin nouveau, les arômes ne se sont pas posées. Donc je vais laisser encore une semaine. Je ne vide jamais ma machine tout de suite.
#9 Ensuite, je vais le conditionner et le stocker. Mais je ne démarrerai la commercialisation que 15 jours après. Ce temps de repos sert d’affinage pour que les arômes se posent et se concentrent.
C’est extrêmement long, c ‘est ce qui est bien. Il faut prendre le temps, anticiper et être patients.”
Réalisé par Florence Dupin
Publié le 27 avril 2023