Comment peut-on imaginer maltraiter les animaux ? Les élever pour l’alimentation implique-t-elle nécessairement cette souffrance et cette violence ? Nous avons tenté de répondre à cette question en contactant Emilie Jeannin, éleveuse de vaches de race Charolaise dans la Côte d’Or en Bourgogne, qui s’est battue pour créer l’abattoir mobile, en activité depuis août 2021.
Qui est Emilie ?
Militante pour le bien-être animal, Émilie est éleveuse, installée avec son frère dans l’exploitation familiale, depuis 2006. L’exploitation était celle de son père. En 1996 celui-ci fait partie des pionniers à avoir démarré la vente de viande à la ferme.
Dans la ferme d’Émilie les vaches, exclusivement de race Charolaise (typique de la région), sont élevées en plein air et se nourrissent des ressources naturellement présentes dans les prairies. “Nous voulons faire la meilleure viande en utilisant les ressources autour de nous” précise-t-elle. La moyenne d’âge est de 10/12 ans.
“Nos vaches sont des charolaises, mais notre sélection est différente. Nous ne cherchons pas à avoir des championnes de culture, mais la race du coin. Nos animaux sont de petite taille, autonomes, et valorisent les ressources naturelles. Elles ressemblent à l’Aubrac dans leur taille, se nourrissent uniquement d’herbe et vivent en plein air toute l’année.”
Aujourd’hui pendant que son frère travaille à la ferme, Émilie, elle, travaille principalement sur le Boeuf Ethique et ses abattoirs ambulants.
“L’agriculture intensive tue notre environnement, celui de nos enfants. Nous devrions manger moins de viande mais de meilleure qualité“
Qu’est-ce que l’abattoir ambulant ?
Avant de répondre à cette question, il convient de revenir sur quelques notions de base : qu’est-ce qui conditionne une viande de qualité ? Car telle est la question que nous autres fines bouches, nous posons régulièrement. Et bien, qualité et bien-être vont de paire.
Une vache heureuse pour une viande de qualité
Les vaches sont des animaux naturellement sociables quand elles se sentent bien, et cela a un fort impact sur la qualité de leur chair. A contrario, le stress a une influence néfaste sur de nombreux aspects, notamment sur la tendreté de la viande.
Le collagène contenu naturellement dans les muscles peut être compliqué à mastiquer. Ce collagène augmente selon plusieurs facteurs :
- Il est plus important dans les muscles d’une vache adulte que chez les jeunes bovins,
- Il se développe avec l’activité physique,
- Il se développe également fortement lorsque la vache subit du stress : plus la vache est stressée, plus elle contracte ses muscles, plus le collagène se répand et durcit la viande.
Élever des vaches en plein air permet donc à la viande de s’adoucir au rythme de leur paisible vie.
Il existe une solution pour attendrir la viande : la maturation. “Une viande devrait maturer 3 semaines en carcasse pour s’adoucir. Pendant la maturation des enzymes naturellement présentent s’activent et viennent casser les molécules de collagène” nous précise Émilie. Aujourd’hui, de manière générale, nous ne faisons pas assez maturer la viande.
D’autre part, la viande se bonifie avec le temps, “elle va prendre du goût avec l’âge” nous explique-t-elle. C’est la raison pour laquelle les bons éleveurs et artisans que nous avons rencontrés y sont sensibles : Émilie Jeannin, David et Philippe du Domaine Coiffard, Etienne Maury de Nature Viande.
L’alimentation jouera également un rôle important puisque l’herbe broutée toute l’année influence le goût.
“Toutes les viandes devraient au moins maturer 3 semaines pour adoucir leur chair.“
L’abattage
Revenons à l’abattage et aux conditions d’abattage actuelles. Vous l’aurez compris, plus la vache aura été stressée plus sa chair sera ferme et difficile à mastiquer. Au contraire, plus celle-ci aura eu une vie paisible et sans stress jusqu’à la mise à mort, plus elle sera tendre et goûteuse.
Aujourd’hui, la filière des abattoirs, autrefois publique, désormais privatisée (les abattoirs publics représentent moins de 8% des abattoirs français en 2015), a en tête la rentabilité. Pour atteindre cette rentabilité, elles ont besoin d’abattre en quantité.
Par ailleurs, sur les 265 abattoirs en France (source : agriculture.gouv.fr), une grande majorité se situe dans l’Ouest. Les vaches sont ramassées, une à une, chez les éleveurs partout en France puis parcourent des kilomètres, dans des camions, avant d’être accueillies pour leur ultime étape de vie. Nul besoin de vous faire un dessin pour comprendre le stress que cela représente pour elles.
Attention nous ne faisons pas de généralités, car vous verrez que certains éleveurs arrivent à faire abattre leurs vaches dans de meilleures conditions. C’est le cas de nos éleveurs (Domaine Coiffard et Nature Viande). Tout dépend, entre autres, des abattoirs à proximité de leur installation.
L’abattoir mobile
L’abattoir mobile d’Émilie répond à ces problématiques : les vaches ne sont pas transportées, elles ne rencontrent pas une multitude d’intervenants différents, elles ne patientent pas pendant des heures sur des quais de déchargement avant d’être abattues… Bref, elles ne subissent pas ou peu de stress.
Le camion arrive à la ferme, les portes s’ouvrent et la vache, conduite par son éleveur, entre à l’intérieur. A peine arrivée à l’intérieur, elle est assommée par la main du matador. Le vétérinaire contrôle son étourdissement afin de s’assurer que celle-ci ne sentira rien, et s’en suivent les étapes classiques de saignée…
Tout est étudié pour qu’il n’y ait ni bruit ni odeur. Émilie souhaite aller encore plus loin. Le Boeuf Éthique achètera les animaux vivants qui seront abattus sur place. Les carcasses seront ensuite maturées pendant quelques semaines avant d’être découpées et vendues. “Nous aimerions travailler avec des cantines, des distributeurs dans les grandes villes et des bouchers. Bref, donner accès à une viande de qualité au plus grand nombre.“
3 décembre 2021 par Florence Dupin