Ou le parcours d’une combattante
Découvrons ici le parcours étonnant de l’huître creuse, de son arrivée dans nos eaux jusqu’à aujourd’hui.
Une huître peut en cacher une autre
Au commencement était… l’huître plate, de son petit nom Ostrea edulis. Celle que les Romains n’hésitent pas à rapporter dans des barriques fermées sur des centaines de kilomètres jusqu’à Rome. Celle qui justifie déjà, sous le règne de Louis XIV, la présence de 2000 écaillers parisiens. À cette époque, on se contente d’exploiter les bancs d’huîtres sauvages du littoral. Jusqu’à épuiser petit à petit ces gisements naturels…
Du Portugal…
Pour faire face à cette pénurie d’huîtres plates, on importe dans les années 1860 une huître creuse portugaise. Crassosrea angulata est une espèce robuste qui va rapidement supplanter l’huître plate originelle (espèce indigène*), d’autant que cette dernière sera touchée par de sévères épizooties au XXe siècle, maladies dont elle ne se relèvera jamais vraiment. Bref, c’est bien sur l’huître portugaise que l’ostréiculture moderne va s’appuyer durant un peu plus d’un siècle.
… au Japon
Or au début des années 1970, cette huître portugaise « de substitution » subit à son tour une très grave épizootie* qui décime quasi totalement tous les élevages de la côte atlantique. Les ostréiculteurs ont alors l’idée de la remplacer par Crassostrea gigas, une espèce originaire du Canada et du Japon. C’est l’huître creuse que nous consommons aujourd’hui. Celle-là même qui connaît depuis 2008 des surmortalités affectant aussi bien le naissain* que les adultes, preuve que la profession ne peut jamais rester sur ses acquis.
Avant cette nouvelle crise, la production nationale était estimée à 150000 tonnes. Tombée durant quelque temps à 80000 tonnes, elle est aujourd’hui (2020) de 120000 tonnes/an. Au regard de ces chiffres, la production d’huîtres plates quant à elle reste presque confidentielle : entre 1500 tonnes à 2000 tonnes/an.
Et le numéro gagnant est…
Pour obtenir des huîtres de taille marchande, l’ostréiculteur doit d’abord maîtriser son approvisionnement en naissain. Explication…
La naissance
L’huître est un mollusque* filtreur qui se nourrit des microalgues* et autres particules en suspension dans l’eau de mer. La période estivale est propice aux pontes. La fécondation a lieu en pleine eau et la larve*, portée par les courants marins ne tarde pas à se fixer sur tout support stable se trouvant à sa portée : coquille vide, caillou, rocher… Elle sécrète un ciment qui l’empêche d’être emportée par les courants et ressemble à un adulte en miniature, c’est ce qu’on appelle le « naissain ».
Le captage
Forts de ces observations, les précurseurs de l’ostréiculture moderne ont commencé, dès les années 1850 à capter les larves d’huîtres sur des morceaux de bois. Au fil du temps, les méthodes ont évolué, aboutissant à la mise en place de structures plus modernes : tuiles chaulées*, tubes cannelés, coupelles plastique… Or si le captage* naturel du naissain reste une méthode répandue, il ne suffit pas toujours à garnir les parcs d’élevage lors des mauvaises années. Il y a tout juste 50 ans, les nouveaux pionniers de l’aquaculture moderne, jeunes scientifiques pour la plupart, ont commencé à travailler sur la maîtrise de la reproduction de l’huître en milieu contrôlé.
De fait, les techniques d’écloserie-nurserie se sont rapidement imposées à partir des années 2000. « À elles seules, les écloseries de la région Pays de la Loire (Vendée en tête) auront produit cette année 2,5 milliards de naissains d’huître creuse, soit 70% de la production nationale » précise Philippe Glize, conseiller aquacole au Syndicat Mixte pour le Développement de l’Aquaculture en Pays de la Loire (SMDAP). Une performance qui repose sur l’existence d’une nappe d’eau souterraine salée aux caractéristiques physicochimiques idéales pour la production de Skeletonema costatum, une microalgue-fourrage apportée en masse aux naissains d’huître. Mais attention, reprend le spécialiste, car « rien n’indique que cette nappe d’eau souterraine soit inépuisable ».
Une écloserie, comment ça marche ?
Concrètement, l’écloserie* est une structure à terre où l’on fait maturer* les géniteurs* d’huîtres en les nourrissant d’un cocktail de phytoplancton*.
On induit ensuite la ponte de Madame et Monsieur par un stimulus adéquat (un choc thermique par exemple). On contrôle la fécondation des larves sous le microscope avant de les placer dans des cuves où elles vont être élevées durant trois semaines. À ce stade, la larve d’huître nage en pleine eau et avale des centaines de cellules de microalgues tout au long de la journée !
Comptées et mesurées tous les jours, les larves sont recueillies le jour « J » dans un tamis très fin et placées dans des « tubes-tamis » dont le fond est recouvert de brisure de coquilles d’huîtres, des particules très fines (300 microns) sur lesquelles les larves vont venir se fixer au moment de leur métamorphose. Elles y resteront deux semaines avant d’atteindre une taille de 850 microns.
C’est à ce stade que le naissain est transféré dans une nurserie* extérieure où l’élevage va s’accélérer : quelques mois plus tard, les petites huîtres mesurent déjà entre 12 mm et 15 mm. Elles sont alors prêtes à rejoindre les structures de grossissement en milieu ouvert.
Du grossissement à l’affinage, entre savoir-faire et “merroir”*
Par le passé, les huîtres ont été élevées à plat sur le sol et maniées à la fourche. Aujourd’hui, la technique la plus courante est l’élevage en surélevé sur tables métalliques.
La plupart du temps, à l’issue de la phase de prégrossissement* en nurserie extérieure, les huîtres sont installées dans des poches en grillage plastique qui permettent aux animaux de s’alimenter à chaque marée haute. Implantés sur l’estran*, ces parcs sont accessibles à marée basse ce qui facilite les opérations de manutention et d’entretien. Il faut notamment « virer »* les poches très régulièrement pour limiter la prolifération des algues qui viennent obstruer les mailles.
À raison de 180 à 200 « bêtes » par poche, comme disent les ostréiculteurs, la biomasse* repêchée au bout de deux à trois ans est de 15 à 20 kg… si tout s’est bien passé.
Sans marée en Méditerranée
Lorsqu’il n’y a pas de marée comme en Méditerranée, on peut opter pour une technique d’élevage en suspension, les huîtres pouvant par exemple être installées dans des lanternes au début de leur cycle puis collées une à une sur des cordes par la suite. C’est le cas pour l’étang de Thau où elles sont généralement immergées en permanence dans l’eau. C’est la technique à laquelle se prête nos ostréiculteurs du bassin d’Arcachon, Patrice et Jérôme Gazo , pour leurs huîtres creuses (découvrez leur portrait).
Certains ostréiculteurs comme Florent Tarbouriech sont allés plus loin. En sortant plusieurs fois par jour les huîtres de l’eau, ce professionnel a pu récréer le phénomène des marées, aboutissant à la création d’un produit d’une grande qualité.
L’affinage
Charnue, croquante, douce, iodée, au goût de noisette… La qualité finale de l’huître dépend surtout de l’affinage dont elle aura bénéficié (ou pas) avant sa commercialisation. La technique la plus connue (qui n’est pas la seule) est l’engraissement en claires*, bassins à terre, peu profonds et dont la nature de l’argile et les spécificités du phytoplancton qui s’y développe confèrent aux huîtres une saveur et une texture incomparables.
Il faut se rendre dans le bassin de Marennes-Oléron, entre l’estuaire de la Charente et celui de la Gironde pour les découvrir et mieux comprendre ce qui a pu faire la notoriété de ce site unique de 3000 hectares, berceau de l’huître française.
Ce sont dans ces claires qu’apparaît et se développe l’algue microscopique Haslea ostrearia ou navicule bleue, à l’origine du verdissement de l’huître. Les appellations « Fine de claire » et « Fine de claire verte » requièrent un séjour d’un mois minimum en claire à raison de 3 kg maximum/m2.
Spéciale de claire
En remontant vers le haut du panier, on trouve la « Spéciale de claire ». Pour celle-ci, le cahier des charges passe à deux mois d’affinage minimum pour une densité réduite. Et si par chance on vous proposait de déguster un jour une « Pousse en claire », foncez ! Cette huître d’exception, exclusive de Marennes-Oléron est détentrice du fameux Label Rouge (avec la Fine de claire verte). Croquante et sucrée, elle a passé 4 à 6 mois en bassin d’affinage à des densités d’élevage très faibles (2 à 5 huître/m2) et sa dégustation est un voyage pour le moins… mémorable !
Lexique
Affinage : opération qui clôt la période de grossissement et par laquelle on optimise les qualités gustatives de l”huître (saveur, texture…)
Biomasse : quantité de matière vivante exprimée par unité de surface ou de volume.
Captage/capter : amener les larves d’huîtres à se fixer sur un support choisi (collecteur en mer, brisure de coquille d’huîtres en écloserie) en vue de leur élevage.
Claire : bassin d’affinage ou/et d’engraissement des huîtres.
Conchyliculture : terme générique désignant l’élevage de mollusques tels que les huîtres, les moules, les palourdes, les coques.
Écloserie : entreprise spécialisée dans la reproduction des huîtres (ou autres espèces aquatiques) en milieu contrôlé.
Épizootie : maladie contagieuse qui touche très largement une population animale.
Estran : zone de balancement des marées.
Géniteurs : adultes dûment sélectionnés en vue de la production de larves.
Indigène : se dit d’une espèce originaire de la région où elle vit.
Larve : premier stade de développement de l’huître avant sa métamorphose.
Maturer/maturation : processus menant à l’émission du gamète (cellule reproductrice) mâle ou femelle.
Nurserie : structure de prégrossissement des huîtres (ou autres mollusque bivalves).
“Merroir” : néologisme, équivalent du terroir et de son empreinte en termes de goût, de typicité…
Microalgues : algues microscopiques.
Mollusque : embranchement d’animaux au corps mou et dont le manteau sécrète une coquille.
Naissain : petites huîtres en phase de prégrossissement.
Ostréiculture : élevage des huîtres.
Phycotoxines : toxines produites par certaines microalgues, susceptibles d’entraîner chez l’homme ou l’animal des intoxications alimentaires plus ou moins graves.
Phytoplancton : plancton végétal (algues microscopiques).
Prégrossissement : phase intermédiaire entre l’écloserie et le prossissement en mer.
Tuiles chaulées : tuiles enduites d’un mélange de chaux et de sable. Elles sont immergées dans l’eau en vue du captage des larves par fixation.
Virer : action de retourner les poches d’huîtres fixées aux tables
3 décembre 2021 par Jean-Marie Pédron
Photo : Erwan Balança