Vers une mise à mort plus douce ?
L’ikejime, c’est avant tout un geste, une manière de donner la mort. Cela peut paraître triste mais c’est en réalité un grand gage de respect donné à la nature et une formidable découverte gustative. Méthode ancestrale japonaise, l’Ikejime consiste à tuer le poisson de façon quasi instantanée par mort cérébrale, limitant ainsi le stress et les souffrances de l’animal, ce qui a pour bienfait premier de stopper le processus naturel de dégradation des chairs. Il y a quelques siècles, les réfrigérateurs n’existant pas les japonais ont inventé le moyen de conserver ce poisson et de le sublimer.
Du pêcheur à l’assiette
Il y a déjà quelques années une poignée de pêcheurs, essentiellement en Bretagne, ont acquit ce savoir-faire ancestral leur permettant de proposer un poisson d’une qualité exceptionnelle. Quel meilleur poisson que le bar de ligne pour symboliser la mer dans son plus bel appareil ? Il s’agit de la première espèce visée par cette méthode d’abattage en France, car le Labrax (de son nom latin) supporte très bien le passage en vivier. Méthode sélective, elle privilégie la qualité à la quantité et valorise une ressource de plus en plus rare.
Le pêcheur est le premier maillon d’une chaîne, la façon dont il traite le poisson est déterminante pour obtenir le plus beau rendu dans l’assiette. Le poisson, comme l’Homme, dispose d’ATP (adénosine triphosphate), il s’agit de l’énergie qui permet les réactions musculaires. Lorsqu’il meurt cette substance se mue en inosinate, à l’origine du “bon” goût ; le fameux umami (cinquième saveur) qui représente la parfaite alliance des saveurs… Plus le poisson abattu dispose d’ATP plus il sera riche en inosinate. Par conséquent la tonicité au moment de l’abattage a un impact direct sur le goût du produit final.
Une pêche qui a du sens
L’Ikejime représente aujourd’hui un peu tout cela, le principe de sélection et la compréhension des cycles naturels, retrouver du bon sens, de la logique et du respect. Ne vous étonnez pas de croiser de plus en plus ce terme sur les étales de vos poissonniers, cette jolie étiquette rouge symbolisera rapidement chez vous le sentiment d’accéder à un produit d’exception, prélevé avec soin et avec un impact moindre sur l’environnement grâce à une gestion raisonnée de la ressource. Prudence toutefois car il y a Ikejime et Ikejime. Au japon on distingue 3 types d’Ikejime : la première gamme, lorsque le poisson, jugé trop faible pour le passage en vivier, est abattu directement sur le bateau ; la deuxième gamme ou l’Ikejime commun (la norme au Japon) lorsque le poisson est abattu dès son retour à terre ; l’Ikejime premium, le plus recherché, lorsque le poisson est dans un état de forme optimal et peut être gardé plusieurs jours vivant, totalement apaisé avant l’abattage par des mains expertes.
En Asie il est fréquent de voir des poissons vivants sur les marchés, peut-être y viendrons-nous un jour en France? Grâce à l’action de petites entreprises comme France Ikejime basée au Guilvinec et des pêcheurs passionnés et convaincus de la nécessité de valoriser au maximum le poisson, le bar Ikejime n’est plus seulement réservé aux grands chefs et sera bientôt à notre portée.
D’autres espèces sont également proposées comme le pagre, le rouget, la dorade, la seiche et même le homard ! Certes plus onéreux que du poisson conventionnel (2 fois plus cher que du bar tué par asphyxie), le bar Ikejime est un véritable délice en bouche. De grands chefs le bonifient jusqu’à 14 jours afin de trouver le goût et la texture la plus fine.
Outre le respect de l’animal, l’Ikejime est un cadeau gastronomique, une perle rare. Une perspective magnifique pour les fines bouches que nous sommes, ça tombe bien.
6 décembre 2021 par Jean-Etienne Gourvès
Photo : Erwan Balança