Lionel : “Je suis d’origine des Sables d’Olonne, donc il y a plein de marais. Et, depuis tout petit, je suis fasciné par ces marais salant. Mais par contre, c’était vraiment en déperdition. Fils d’agriculteur, je suis allé faire des études agricoles, je me suis retrouvé à la chambre d’agriculture, j’étais technicien, et on m’a envoyé à Guérande. Je suis arrivé là et j’ai vu tous ces marais salants et ce fonctionnement, parce que ça fonctionnait. Ça, c’était en 91.
Je suis revenu une deuxième fois en 93 et là, ça a commencé à germer jusqu’en 97 où j’ai franchi le pas. J’ai vendu mon sel à la coopérative. Je trouvais que ce n’était pas le fonctionnement qui me convenait le mieux parce que mes parents agriculteurs vendaient du lait en direct, j’avais cette culture de vendre le produit à un consommateur pas de l’abandonner à la porte d’une coopérative. Donc je suis rentré au conseil d’administration de la coopérative quand même parce que ça m’intéressait le fonctionnement. Et c’est là que j’ai rencontré Françoise.”
Françoise : “On a décidé de créer une petite entreprise. En plus, on avait une idée un peu précise de ce qu’on voulait. C’est-à-dire qu’on trouvait que ce qui se passait à Guérande était très encré sur le marais, sur le fonctionnement du marais, sur l’histoire. Alors tout ça, c’est important, mais ce qui nous paraissait aussi important, c’est le produit. Qu’il ait une qualité, que les gens l’achètent parce que ça a une qualité et pas seulement parce que ça a un nom et une histoire. Donc c’est pour ça qu’on s’est dirigé vers une fleur de sel de qualité. Au hasard de nos voyages et de nos rencontres avec des chefs, on s’est rendu compte qu’il y avait certains chefs dans leur cuisine, ils avaient un produit qui n’était même pas de la fleur de sel. C’était marqué fleur de sel dessus, mais c’était un espèce de gros sel tamisé très fin ou une fleur de sel vraiment très grise, et ce n’était pas ça une belle fleur de sel. Et du coup ça n’avait pas vraiment d’intérêt gustatif.”
Lionel : “Le démarrage de la récolte, on commence toujours à préparer les marais à peu près à la même saison, c’est-à-dire février. Parce qu’il faut un mois et demi pour tout nettoyer. Ça nous amène entre le 1er et le 15 avril. Là, toutes les salines sont à secs sauf les oeillets dans lesquels on a laissé un petit peu d’eau. Les œillets, ce sont les bassins où on fait le sel après. Entre le 1er et le 15 avril, on prend de l’eau de mer dans les vasières qui sera déjà un peu plus salée qu’au mois de décembre parce que normalement, il pleut un peu moins en mars/avril qu’en décembre. Et là, on commence à faire circuler de l’eau. Et on dit qu’il faut 30 jours de beau temps consécutif pour passer de l’eau de mer qui est à 25 g de sel par litre, à de l’eau dans les oeillets qui est à 250 g de sel par litre, et qui là va cristalliser. Sauf que les 30 jours de beau temps, on ne les a pas forcément de façon consécutive. Cette année (2022) on les a eues, ce qui fait qu’on a mis l’eau a circuler le 3 avril et le 1er mai on avait du sel. Des années, il pleut. Donc quand il pleut 10 mm, il faut 2 jours pour les évacuer, quand il pleut 40 mm, il faut 8 jours et ça peut repousser, repousser, repousser. Ce qui fait qu’on peut démarrer au mieux fin avril début mai, le plus tard que j’ai connu, c’était le 1er août.
La politique de stockage chez les paludiers, c’est hyper important. On a un produit qui se stock bien, mais c’est impératif parce qu’on peut faire des années quasiment zéro. Le sel, c’est des cycles de quasiment 24h. C’est-à-dire que, pour que les œillets fassent de la fleur, il faut du soleil, du vent, de la chaleur et de l’eau qui soit déjà très salée. Donc il faut que les œillets aient amené l’eau à une bonne saturation au moment du démarrage du processus de la fleur. Le processus commence sur les coups de 14 h, donc je démarre à 5 h 30, de façon à avoir fini à 8 h 30 / 9 h d’avoir pris tout mon gros sel sur mes 24 oeillets. Comme ça ils ont de l’eau fraîche qui va passer toute sa matinée à s’évaporer et, sur les coups de 14h elle sera à saturation et là, va démarrer le processus de fleur. Et là, Françoise va intervenir, elle, à 18 h.”
Françoise : “Nous on essaie de venir le plus tard possible, vers 18h par exemple. Pour qu’on laisse le maximum de temps à la fleur pour se développer. Et puis pour avoir des grains un tout petit peu mieux former que les tous petits grains de départ, vers 15 h, où c’est vraiment de la semoule. S’il fait gris le matin, un temps un petit peu moins beau et que finalement le soleil se lève qu’à 15h, souvent c’est foutu.”
Recueillir la fleur
Françoise : “C’est un système… on appelle ça une lousse. C’est un peu comme un écumoire donc on a deux ou trois millimètres d’eau et il faut qu’on passe sous la couche de fleur de sel sans toucher le fond. C’est un geste qui est assez précis. Faut être à la fois soigné, lent et attentif, et malgré tout efficace. Les œillets ont 3 mm, un peu petit peu plus, d’eau.
Lionel : “Les œillets, surtout en début de saison, quand ils sont en train de faire le gros sel, ont déjà perdu de l’eau. Comme ils sont en dôme, le haut de l’œillet, le milieu de l’œillet est à sec. Il n’y a de l’eau plus que dans les tours. Et du coup on disait tout à l’heure qu’il fallait 13 mm de tour (1,3 cm) mais vu que ça va commencer à s’évaporer, il reste plus que la moitié. Et vite, on arrive à juste l’épaisseur du plastique de la lousse et il y a des endroits où on s’arrête parce que ça frotte. Faut savoir s’arrêter à temps, si on frotte sur l’argile, on monte de l’argile avec la fleur, la fleur devient grise et puis c’est plus de la fleur.
Le lendemain matin, c’est à mon tour. Là, on arrive avec des œillets qui sont, en début de saison, avec tout le milieu qui est à sec. C’est pareil, il n’est pas question de gratter le milieu à sec parce que ça va venir avec de la vase. Donc on remet de l’eau. L’idée c’est de remettre la quantité qui s’est évaporée la veille. On remet entre 3 et 6 mm d’eau dans un œillet et on le fait en même temps qu’on prend le sel. Ou on commence juste avant. Il me faut 6 minutes pour prendre un œillet. Hop on ouvre l’eau, pendant que je finis un œillet, ça commence à se remplir et puis après, on fait des vagues avec un outil qu’on appelle un las, c’est une grande planche d’un 1 m 20 au bout d’un manche de 5 m. Et là, on fait des vagues et on pousse le sel vers le rond central qu’on appelle une ladure, qui est une plateforme d’argile sur laquelle on va monter le sel une fois que tout sera arrivé devant. Et c’est physique. C’est beaucoup plus physique que la fleur de sel. C’est beaucoup moins délicat, mais malgré tout, il faut quand même faire gaffe, parce qu’en fonction de l’appui qu’on va faire ou pas sur le manche… il faut soutenir le manche tout le temps sinon ça frotte sur le fond, on remonte de l’argile et on fait un sel qui n’est pas propre.
L’idée nous, c’est vraiment d’avoir le minimum d’argile dans le sel pour faire un sel qui soit beau, qui soit agréable à travailler.
Françoise : “Le sel, l’idéal, c’est qu’il s’égoutte naturellement. Donc, pour la fleur de sel, l’idéal serait de ne la reprendre qu’une année après. C’est ce qu’on fait la plupart du temps. Un égouttage naturel, c’est quand même important. Un égouttage naturel, c’est quand même important. Ça reste en tas, sous bâche, pour le gros sel ; la fleur de sel dans des sacs. Ensuite, on la reprend un an après.
Ensuite, on la reprend un an après. On va éliminer les plus gros grains. Pour la fleur de sel, l’intérêt, c’est que, comme la fleur de sel s’utilise dans l’assiette en assaisonnement, c’est mieux d’éviter de tomber sur un grain qui fait 2 mm. Donc ça, c’est vraiment l’intérêt. Et puis le gros sel, c’est pareil, on va essayer de proposer un produit le plus homogène possible. Pour les salaisons, c’est quand même plus pratique.”
Lionel : “Ce qui est important sur le gros, c’est, qu’en même temps que le tamisage, c’est le tri à la main. Ça permet d’enlever toutes les particules, que ce soit des plumes, des cailloux, des boulettes d’argile, parce qu’on ramasse ce qu’il y a dans le fond. Nous quand on ramasse l’été, quand je vois des trucs, je les enlève, mais il en reste plein. Donc ce tri qui est fait en même temps que le tamisage est hyper important pour la propreté du produit derrière.”
Françoise : “Donc la fleur de sel, après avoir été tamisée, elle va être triée entièrement à la main puisqu’il faut qu’on enlève les petits moucherons, les petits végétaux. En même temps que ce tri, on fait aussi un assemblage pour essayer de proposer un produit le plus homogène possible et puis que tout au long de l’année les clients aient toujours à peu près le même produit.”
La différence entre la couleur du gros sel et la fleur de sel
Lionel : “La différence c’est l’argile. C’est juste parce que la fleur de sel est ramassée par-dessous, elle ne touche jamais le fond donc elle reste blanche sauf accident auquel cas nous, on ne la ramasse pas, parce qu’on considère que si la fleur de sel n’est pas blanche c’est plus de la fleur de sel. Donc il faut qu’elle soit blanche. Et elle est blanche quand on la ramasse dans les bonnes conditions, par-dessous. Alors que le gros sel va être récolté en le faisant rouler sur le fond, pas traîné, mais roulé sur le fond. Si on le fait traîner sur le fond, il n’est pas gris, il est noir. À ce moment-là, comme les grains ne sont pas lisses, ils incorporent toujours un petit peu d’argile. Le geste du paludier, c’est, quand on le ramène, on ramène toujours de l’eau avec pour le laver, pour en enlever le maximum. C’est ce qui fait qu’il va être beige. Il faut qu’il y en ait un minimum, mais c’est cette couleur qui fait aussi le goût du sel.”
En utilisation
Françoise : “La fleur de sel ne se cuit pas alors que le gros sel est un sel de cuisson. Le gros sel est très dense donc il a vraiment intérêt à fondre dans l’eau, dans une cuisson. Alors que la fleur de sel, plus tendre, elle l’intérêt, c’est vraiment qu’elle fonde dans la bouche en même temps que l’aliment pour exhauster le goût.”
Écrit par Florence Dupin
Publié le 12 décembre 2022